Les stipulations : d’outil dramatique à paresse scénaristique
Depuis quelques années, la WWE s’est faite un malin plaisir à changer régulièrement le nom de ses Pay-Per-Views et d’en faire une fois sur deux un PPV à thème. Si l’idée n’est pas nouvelle, elle a eu pour conséquence de banaliser certaines stipulations et de renforcer l’artificialité de son produit. Comment cela se fait-il ?
La WWE a pris tout le monde par surprise en annonçant le retour du PPV Elimination Chamber. A l’origine remplacé par Fast Lane, show de transition par excellence, voilà que cette structure inaugurée en 2002 aux Survivor Series s’invite sur le WWE Network uniquement (à moins d’avoir AB1) et à peine deux semaines après Payback. Tout le monde aura compris qu’il s’agissait d’une nouvelle stratégie marketing pour augmenter le nombre d’abonnements sur ce fameux réseau à 9,99 dollars par mois mais ce n’est pas tant cela qui m’a interpellé dans cette nouvelle.
Il y a peu, on nous proposait Extreme Rules. Le PPV où la WWE essaie de nous faire croire que pour un soir seulement, tout est permis. C’est oublier qu’en octobre, Hell In A Cell enferme ses meilleurs éléments dans une cage redoutée de tous et qu’en fin d’année, les tables, échelles et chaises (et marches d’escalier tant qu’à faire) s’invitent pour accueillir les superstars comme il se doit. Sans parler de l’Elimination Chamber qui n’est pas beaucoup plus douce qu’une simple cage.
Stipulations à bas prix
Je ne vais pas tourner autour du pot : bien que je ne boude pas mon plaisir devant la qualité du spectacle proposé à l’occasion, je hais ces Pay-Per-Views à thème, du moins les plus récents. Non pas que je sois opposé au concept dans son ensemble, après tout le Money in the Bank a justement droit à sa soirée, reprenant en quelque sorte le rôle du King of the Ring. De même le Royal Rumble et les Survivor Series ne sont pas dans le « Big Four » historique pour rien, bien que le dernier nommé ait grandement perdu en prestige ces derniers temps. Non je condamne les PPV à thème actuels pour une simple raison : leur côté artificiel.
Beaucoup de fans l’ont souligné avant moi : le storytelling est une pièce majeure dans le bon fonctionnement d’un match et d’une rivalité. Plus on insère des éléments qui s’accordent avec le contexte, plus les fans se sentiront investis. A l’inverse, d’autres seront hors de propos et nous sortent de l’expérience. Les stipulations font partie de ces éléments à ne pas manier n’importe comment. Or aujourd’hui, puisque des PPV sont consacrés à ces stipulations, celles-ci arrivent comme un cheveu sur la soupe uniquement parce qu’il faut justifier l’appellation du PPV. Elimination Chamber ne fait pas exception.
Le pire exemple reste celui du Hell In A Cell. Il s’agit d’un des matchs les plus iconiques de la fédération, une stipulation qui allait de paire avec la brutalité et qui se justifiait pour conclure une rivalité parmi les plus intenses. A l’une ou l’autre exception prête – les erreurs ne datent pas de la PG Era – c’était le cas, jusqu’à l’apparition du PPV éponyme en 2009 où le public a eu droit à trois matchs avec la fameuse cage, dont l’un en opener ! Le Hell In A Cell était devenu une stipulation comme une autre et se voyait sérieusement désacralisé malgré l’une ou l’autre rivalité qui avaient bien droit à cet honneur, je pense notamment à Seth Rollins contre Dean Ambrose. Cependant, allez justifier auprès des observateurs un Hell in a Cell opposant Mark Henry à Randy Orton en 2011…
Les autres stipulations ne sont pas plus épargnées et pour cause : en multipliant ces PPV à thème, on augmente les chances de retrouver la même stipulation à quelques mois d’intervalles, ce qui aura pour effet de réduire encore davantage son impact. Nous avons eu droit début 2013 à quelques semaines d’intervalle à deux Last Man Standing Match opposant Alberto Del Rio au Big Show ! De même, le Ladder Match de Wrestlemania 31 a tenu ses promesses mais il intervenait quatre mois seulement après un autre match de l’échelle, qui plus est pour la même ceinture !
« (Un)fair advantage »
Cette répétition peut cela dit passer si la stipulation va de paire avec la ou les superstar(s) concernée(s). Le cas d’école reste le premier Tables Ladders and Chairs Match à Summerslam en 2000 : les Dudley Boyz affectionnaient particulièrement les tables , les Hardy Boyz se sont révélés avec les échelles tandis qu’Edge et Christian s’amusaient à jouer avec des chaises, d’où l’idée d’autoriser ces trois éléments dans le même match. C’était d’autant plus logique qu’à Wrestlemania 2000, les six superstars avaient déjà balisé le terrain pour cette stipulation en se servant de tables et de chaises dans un Ladder Match. En se spécialisant, cela donnait un avantage – scénaristique – au catcheur concerné qui pouvait s’en servir par la suite.
Ainsi Edge imposa un TLC à John Cena à Unforgiven en 2006 et à l’Undertaker à One Night Stand en 2008 en profitant de leur inexpérience dans ce domaine en comparaison avec la Rated R Superstar. En parlant du Deadman, sa gimmick a permis d’inaugurer des stipulations en raccord avec celle-ci et plus originales comme le Casket Match ou le Buried Alive Match. Enfin, bien que le résultat soit très prévisible dans ce cas précis, il reste logique de voir John Cena impliqué dans un I Quit Match par exemple puisque le défi pour son adversaire sera de faire abandonner Monsieur « Never give up« .
Aujourd’hui, les stipulations semblent trop souvent décidées à la roulette et quand on cherche à les justifier à l’écran, ce n’est pas plus convaincant. Randy Orton a choisi un Steel Cage Match à Extreme Rules pour éviter des interventions extérieures alors que ça n’a jamais freiné la Wyatt Family l’année passée face à John Cena pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres… Pourtant la fédération a déjà su justifier ces stipulations de manière plus logique. Parfois c’était le General Manager – ou le commissionnaire durant l’Attitude Era – qui annonçait une stipulation pour la revanche afin de tabler sur l’intensité de la principale rivalité en cours. L’Elimination Chamber a notamment été introduite en 2002 par Eric Bischoff, alors GM de RAW, en réponse au Hell in a Cell opposant Brock Lesnar à l’Undertaker afin que RAW puisse continuer à dominer Smackdown.
La qualité ne suffit pas…
Dans d’autres cas, c’est une fin controversée au premier match qui pousse l’autorité à agir pour que la revanche se passe dans de bonnes circonstances. Cena – encore lui – a dû affronter Umaga dans un Last Man Standing Match au Royal Rumble 2007 car il s’en était tiré avec un petit paquet à New Year’s Revolution après s’être fait dominer tout le match. Il lui fallait l’emporter avec la manière face au Samoan jusqu’alors invaincu, ce qu’il fit par ailleurs. Rebelote quelques mois plus tard : s’il réussit à soumettre le Great Khali à Judgment Day, celui-ci avait le pied dans les cordes, ce qui devait invalider le résultat. Le Falls Count Anywhere qui s’en est suivi était logique puisque Cena n’avait plus à se soucier de ce paramètre et ne pouvait qu’appliquer un tombé.
Un des plus beaux exemples où la stipulation a servi le storytelling – et inversement – est le match opposant Shawn Michaels à Randy Orton aux Survivor Series 2007 pour le titre de la WWE où chacun a eu droit à une stipulation les handicapant. Le Heart Break Kid ne devait pas utiliser son Sweet Chin Music sous peine d’être disqualifié et de ne plus recevoir de chance pour le titre mondial tandis que la Vipère pouvait perdre sa ceinture s’il se faisait disqualifier ou compter à l’extérieur du ring. Cela avait du sens car HBK a été blessé – scénaristiquement – par Orton et cherchait à le faire souffrir à son tour en lui infligeant autant de coups de pieds dans la figure que possible. Orton quant à lui, en bon heel choisissant la solution de faciliter, a décidé de frapper Michaels dans les parties intimes pour conclure leur premier affrontement à Cyber Sunday quelques semaines plus tôt. Leur match fut excellent avec HBK multipliant les prises de soumissions pour compenser tandis qu’Orton réussit à s’imposer à la régulière afin de conserver sa ceinture… non sans un Sweet Chin Music d’après match revanchard histoire que Shawn reparte avec les honneurs.
Cela ne change rien au fait que les catcheurs savent et sauront tirer le meilleur parti des stipulations qui leur sont offertes mais en catch, la qualité intrinsèque ne suffit pas. En soi, les matchs d’Extreme Rules n’avaient pas besoin de stipulations si on excepte le Main Event malgré l’aspect factice de la cage et la rivalité opposant Cena à Rusev qui était déjà bien avancée. On ne le répétera jamais assez : le catch a besoin de nous investir si on ne veut pas sortir de l’expérience et pointer du doigt ses limites. Les stipulations en catch sont l’équivalent des images de synthèse au cinéma : si certains s’en servent de manière intelligente sinon efficace, pour beaucoup d’autres, elles sont devenues un prétexte pour que l’on essaie de passer l’éponge sur une écriture paresseuse.